« Juste la fin du monde » : Une leçon de mise-en-scène.

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Après avoir mis tout le monde d’accord en 2014 avec le prodigieux Mommy, le québécois Xavier Dolan convoque un panel d’acteurs star (Ulliel, Cotillard, Cassel, Baye, Seydoux) pour une adaptation de la pièce de théâtre Juste la fin du monde, écrite par Jean-Luc Lagarce en 1990. Primé à Cannes cette année, le film n’a pourtant pas manqué de diviser la critique et le public. Qu’en est-il finalement ?

Objectivement, le long-métrage est brillant à de nombreux niveaux. Quelle maîtrise, quelle inventivité ! Il n’y a pas à dire, tout semble chorégraphié au millimètre près. Pourtant, force est de constater qu’il est assez difficile à appréhender au premier abord. Moins séduisant, moins spectaculaire que la tornade Mommy, ce Dolan-là est un peu plus âpre, plus minimaliste, pour ne pas dire classique (à l’exception de deux ou trois séquences musicales très osées et auxquelles on ne pouvait évidemment pas échapper). Les changements de ratios et autres pluies de marshmallows laissent place à un huis-clos oppressant, au portrait teinté d’amour et de rancœur d’une famille dysfonctionnelle, s’asphyxiant de non-dits et de querelles.
Si l’histoire en elle-même, sans surprise et somme toute assez banale, n’est au final pas si passionnante que cela en termes d’intrigue, c’est bel et bien le traitement qu’apporte Dolan au texte de Lagarce qui nous intéresse ici. Le cinéaste instaure une ambiance extrêmement pesante, magnifie chaque hésitation, chaque silence, via un geste esthétique risqué mais puissant : Filmer presque absolument tout en gros plans. La virtuosité avec laquelle ce défi est résolu force l’admiration. Le flou, les jeux de regards, cette lumière en clair-obscur signée André Turpin… Tout est beau. Et cette mise en scène, tout en plans serrés, nous enferme efficacement dans l’intimité de personnages auxquels on s’identifie immédiatement.
Toujours placée là il faut, la caméra parvient également à capter les moindres expressions de comédiens qui repoussent les limites de l’art de jouer. Vincent Cassel, Léa Seydoux et Nathalie Baye sont excellents dans un registre hystérique qui, forcément, ne plaira pas à tout le monde. Marion Cotillard et Gaspard Ulliel s’illustrent quant à eux dans des prestations moins outrées, mais qui transcendent littéralement le film. La première campe avec brio un personnage dont la timidité nous serre constamment le cœur, le second porte en lui une gravité fascinante à regarder et incarne à la perfection cet écrivain qui peine à annoncer à ses proches sa mort prochaine. Sans être le meilleur film de son auteur et sans non plus nous émouvoir autant que prévu, « Juste la fin du monde » confirme donc le talent d’acteurs d’exception et déploie une maestria formelle à couper le souffle. C’est une leçon de mise en scène. Bravo Xavier !
Amaury Foucart

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